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L'HISTOIRE DES RÈGLEMENTS DE CONFLITS DE COMPÉTENCE EN FRANCE

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Par Camille Peter

       Le dualisme juridictionnel « ne peut pas ne pas donner lieu à des risques de conflits » (selon MM. Michel et Olivier Rousset), les conflits étant inévitables en l'absence d'un principe ou d'une loi générale qui répartit clairement les compétences entre les deux ordres de juridiction.

 

      En quoi la création d'un organe juridictionnel paritaire et neutre s'avéra-t-elle nécessaire aux règlements efficaces de conflits de compétence en France ?

 

 

I. Le règlement des conflits de compétence par le chef de l’État en Conseil d’État, un système initialement imparfait

 

A. Un moyen de lutte contre l'omnipotence de l'autorité judiciaire

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      Le Roi sous l'Ancien Régime avait délégué certaines de ses attributions aux parlements qui, dans les faits, étaient devenus très puissants. Après la querelle entre le pouvoir royal et les parlements, le Roi devint arbitre des compétences entre les corps administratifs et judiciaires et pouvait obliger les autorités judiciaires à se dessaisir des litiges administratifs lorsque ces derniers n'étaient pas compétents. Ce système fut maintenu pendant la Révolution avec les conseils et comités révolutionnaires et le Directoire qui statuaient sur les réclamations d'incompétence.

 

       De l'an VIII à 1848 puis de 1852 à 1872, il s'agit du chef de l’État en Conseil d’État, selon le système de la justice retenue, qui trancha les conflits de compétences. « Trancher les conflits de compétences était un moyen de gouvernement plutôt qu'un véritable règlement des conflits de compétences » (MM. Debbasch et Ricci). « Le conflit fut l'arme pour se dégager de l'omnipotence judiciaire » (M. Gazier).

 

B. Le passage de la justice retenue à la justice déléguée comme expression de la nécessité d'un organe tiers

 

       Le Conseil d’État, selon le système de la justice retenue, avait ainsi pour mission de régler les conflits de compétence de l'an VIII à 1848. Considérée comme un attribut spécial de souveraineté, la mission était effectivement confiée au Conseil d’État dans la mesure où la décision appartenait au chef de l’État. Il rendit de nombreux arrêts en tant que juge des conflits et dégagea certains principes s'appliquant encore aujourd'hui (par exemple, CE, 1801 Godard : les questions de compétence sont d'ordre public). Mais pour beaucoup, ce système d'arbitrage gouvernemental était choquant en ce que le Conseil d’État était à la fois « juge et partie dans le débat » (M. Pacteau).

 

     Avec l'évocation du passage de la justice retenue à la justice déléguée, il sembla impossible qu'un organe juridictionnel indépendant et statuant au nom du peuple français, soit encore juge des conflits. Un tribunal des conflits fut créé en par la Constitution du 4 novembre 1848 et la loi du 3 mars 1849 procéda au passage de la justice retenue à la justice déléguée. Cependant, le passage au Second Empire rendit au Conseil d’État son rôle de juge des conflits selon le système de la justice retenue.

Le passage de la justice retenue à la justice déléguée se fit définitivement avec la loi du 24 mai 1872 qui destitua implicitement le Conseil d’État de sa compétence du juge des conflits pour l'attribuer à un organe juridictionnel particulier : le Tribunal des conflits.

 

 

II. Le Tribunal des conflits, un organe juridictionnel indispensable aux règlements efficaces des conflits de compétence

 

A. La mise en place d'un organe juridictionnel paritaire et neutre, entre source de progrès et continuité

 

       « La création d'un tribunal spécial autant qu'original apparut comme un progrès » (M. Pacteau). En effet, le Tribunal des conflits tient sa force de sa parité, renforcée avec la loi du 16 février 2015 et permettant une « collégialité positive et confiante » (M. Sauvé). Il n'est pas le « théâtre de conflits, mais une instance de rencontre » (M. René Chapus).

Mais il garde toutefois des points communs avec le Conseil d’État : ses locaux se trouvent au sein du Palais Royal, la procédure appliquée est la même que celle du Conseil d’État, etc. « À vrai dire, le Tribunal des conflits est né au milieu [du XIXème siècle] d'un démembrement du Conseil d’État et n'est jamais parvenu à s'en détacher complètement. Le cordon ombilical avec la maison mère n'a jamais été rompu ». (M. Gazier).

 

B. Le renforcement de la place du Tribunal des conflits dans la prévention des conflits de compétence

 

       Si la fonction exclusive du Tribunal des conflits était de trancher les conflits, notamment positifs, de nouveaux modes de saisine lui permettent de prévenir les conflits.

 

      L'article du 25 juillet 1960 qui figure à l'article 35 du décret du 27 février 2015 permet, dans sa version initiale, au Conseil d’État et à la Cour de cassation de renvoyer spontanément au Tribunal des conflits les questions de compétences soulevant une difficulté sérieuse survenant avant toute décision d'incompétence. Ce dispositif a été élargi par la réforme de 2015 aux juridictions du fond.

 

       Le second mécanisme est à l'article 32 du décret du 27 février 2015, obligeant le second ordre saisi à renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence s'il s'estime incompétent alors que l'autre ordre a précédemment décliné sa compétence, permettant d'éviter le conflit négatif.

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     Les chiffres témoignent de l'évolution vers une prévention des conflits : il y avait 24 conflits positifs en 2000 contre 2 en 2016.

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Camille Peter 

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