SUR L’INDÉPENDANCE DU PARQUET
Note d’actualité sur l’arrêt Union syndicale des magistrats du Conseil d’Etat du 27 septembre 2017
Par Alice Gorse
Le 27 septembre dernier, le Conseil d'État a renvoyé au Conseil constitutionnel, à la demande de l’Union Syndicale des Magistrats, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 5 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Cet article dispose que « Les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité de Garde des Sceaux, ministre de la Justice. À l’audience, leur parole est libre. ».
Deux moyens sont avancés par l’Union Syndicale des Magistrats au soutien de la QPC. D’une part, l’atteinte à la séparation des pouvoirs garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; d’autre part, l’atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire garantie par l’article 64 de la Constitution.
À titre liminaire, rappelons quelques éléments du statut du parquet. Ses membres sont nommés par le ministre de la Justice, après un avis non conforme du Conseil supérieur de la magistrature. L’article 39-1 du Code de procédure pénale précise en outre que « le procureur de la République met en œuvre la politique pénale définie par les instructions générales du ministre de la Justice ». En revanche, en vertu de l’article 33 du même code et de l’article 5 de l’ordonnance de 1958, les magistrats du parquet bénéficient d’une liberté de parole à l’audience.
La QPC renvoyée par le Conseil constitutionnel rappelle le mouvement, engagé depuis quelques années déjà, de renforcement de l’indépendance du parquet et de la séparation entre les pouvoirs exécutif et judiciaire, dont le parquet bénéficie nécessairement (I). L’évolution du cadre législatif et constitutionnel qui en découle révèle la question de la conformité du statut du parquet aux droits et libertés que la Constitution garantit sous un jour nouveau (II).
I. Le renforcement de l’indépendance du parquet à l’égard de l’exécutif
Dans une décision n°70-40 DC du 9 juillet 1970, le Conseil constitutionnel s’était déjà, certes indirectement, prononcé sur cette question. Il avait implicitement affirmé que l’indépendance des magistrats du parquet n’était pas constitutionnellement protégée. Cependant, la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993 (loi constitutionnelle n°93-952) a intégré dans le Titre VIII de la Constitution relatif à l’autorité judiciaire des dispositions relatives aux magistrats du parquet, les faisant ainsi bénéficier de l’indépendance attachée à l’autorité judiciaire, ce que le Conseil constitutionnel a confirmé dans une décision n°2016-555 QPC du 22 juillet 2016.
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 (loi constitutionnelle no 2008-724) a supprimé la présidence du Conseil supérieur de la magistrature par le Président de la République, allant vers une plus forte indépendance et surtout une séparation des pouvoirs accrue.
Cela n’a pas empêché la France d’être condamnée par un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 23 novembre 2010 (Moulin c. France, n°37104/06), après un premier avertissement resté sans suites (CEDH, gde ch., 29 mars 2010, Medvedyev c. France, n° 3394/03) en raison de l’insuffisante indépendance du parquet.
Le statut de ce dernier a connu une importante modification par la loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l'action publique, qui a supprimé la possibilité pour le ministre de la Justice d’adresser des instructions aux magistrats du parquet dans des affaires individuelles. Le ministre doit désormais se contenter d’instructions générales (article 30 du Code de procédure pénale), qui peuvent au demeurant être adaptées par les chefs du parquet de chaque ressort.
II. La question renouvelée de la conformité aux droits et libertés du statut du parquet
Sont en cause à la fois la séparation des pouvoirs et l’indépendance de l’autorité judiciaire.
En ce qui concerne la séparation des pouvoirs d’abord, précisons qu’elle ne peut être invoquée au soutien d’une QPC que si de sa violation découle la violation d’un droit invocable directement en QPC. Par ailleurs, la jurisprudence actuelle semble se référer assez peu à la séparation des pouvoirs. En outre, contrairement à une idée fréquemment exprimée, la séparation des pouvoirs n’implique pas, dans la pensée de Montesquieu, une séparation très stricte des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Chacun doit simplement être en mesure d’éviter les abus des autres, ce qui ne les empêche pas de collaborer. La reconnaissance d’une atteinte à la séparation des pouvoirs apparaît donc peu probable dans le cadre de cette QPC.
En ce qui concerne l’indépendance de l’autorité judiciaire ensuite, il est également possible de penser, sans certitude cependant, que sa violation ne sera pas non plus caractérisée. D’une part les jurisprudences antérieures en ce sens sont issues d’un cadre constitutionnel et législatif sensiblement différente. D’autre part, il a été jugé dans la décision n°2016-555 QPC du 22 juillet 2016 précitée que l’indépendance de l’autorité judiciaire n’était pas atteinte, alors que dans le domaine objet de la QPC le parquet bénéficiait d’une indépendance à l’égard de l’autorité administrative plus restreinte que dans le droit commun. On peut en déduire qu’il en sera a fortiori de même relativement à l’article 5 de l’ordonnance de 1958.
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Alice Gorse
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